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27.07.2020

Ombres et lumières de la procédure d‘arbitrage CCI

Nous avons traité récemment un dossier d'arbitrage CCI (Chambre de commerce internationale), jusqu’à son terme.

Une société étrangère - dont le siège est en Asie - réclamait des dommages et intérêts pour une somme d'environ 11 millions d'euros à une société allemande que nous représentions, au motif qu'une machine que la société allemande devait développer pour son compte n'aurait pas été disponible à temps. Comme les deux entreprises avaient stipulé dans leurs contrats une clause d’arbitrage (clause compromissoire) devant la Chambre de commerce internationale de Paris (CCI) au lieu de donner compétence aux tribunaux de l’ordre judiciaire, l'affaire a été portée devant la CCI, le lieu de l'arbitrage étant Vienne et la langue de procédure l'anglais. Comme les deux sociétés étaient convenues dans leur contrat de faire application du droit (dit matériel) allemand, la Cour arbitrale devait statuer selon le droit allemand.

Nous souhaiterions utiliser l’expérience acquise au cours de cette procédure d'arbitrage pour souligner certains aspects qui sont souvent ignorés lorsqu'une clause d'arbitrage est incluse dans un contrat.

Les parties recourent souvent à l’arbitrage en partant du principe que :

  • un tribunal arbitral tranchera plus rapidement le litige qu'un tribunal étatique et que les coûts plus élevés supportés du fait de l'arbitrage se retrouveront dans le résultat obtenu;
  • la procédure d'arbitrage n'est pas soumise aux règles formelles régissant une procédure devant les tribunaux judiciaires et
  • le ou les arbitre(s) sont plus compétents pour traiter de l'affaire.

Examinons ainsi les coûts. Les procédures d'arbitrage sont d’abord beaucoup plus coûteuses que les procédures devant les tribunaux étatiques. A titre comparatif, aucun frais de justice n’est à percevoir par exemple dans les procédures de première instance devant les tribunaux français. Et devant un tribunal allemand, le demandeur doit régler une avance sur les frais de justice, qui est fonction du montant du litige, mais beaucoup plus faible.

Par exemple : pour une demande s’élevant à € 10 millions, le demandeur doit verser au tribunal une avance sur frais de justice d'environ € 113.000,-. Devant la CCI, € 180.000,- en cas de nomination d’un seul arbitre, chacune des deux parties devant en supporter la moitié. Tant que le paiement n'est pas intervenu, le tribunal arbitral ne se saisit pas de l’affaire. Les frais de déplacement, hébergement, traduction, etc. viennent en sus.

Une procédure d'arbitrage peut donc s’avérer très coûteuse dès son ouverture. Il s’agit de frais qu'une petite ou moyenne entreprise à faible surface financière peut difficilement engager. En conséquence, une petite entreprise qui conclut un contrat avec une grande entreprise doit réfléchir à deux fois avant de donner compétence à des arbitres pour trancher les litiges résultant de ce contrat.

En cas de litige, l’arbitrage peut constituer un obstacle important pour une petite entreprise pour faire valoir ses droits ou se défendre contre des prétentions invoquées par l'autre partie au contrat. La petite entreprise serait ainsi soumise à une énorme pression financière et pourrait être contrainte de faire des concessions disproportionnées envers le partenaire contractuel, plus puissante.

D'autre part, une entreprise doit savoir que devant un tribunal étatique des frais supplémentaires peuvent être engagés à chaque étape de la procédure (appel, cassation), ce qui peut rendre le litige globalement plus coûteux que dans une procédure d'arbitrage.

Les délais généralement plus courts des procédures d'arbitrage constituent un argument fort pour y recourir. C'est un aspect très important. A quoi sert après tout d’assigner devant un tribunal étatique si le litige s'étend sur plusieurs instances et dure ainsi plusieurs années ?

En Allemagne - et plus précisément en Bavière (car il existe également des différences considérables entre les différents Länder) - une procédure de première instance dure 9 mois en moyenne entre l’assignation et le jugement.

En y ajoutant les instances d'appel et, le cas échéant, de recours en cassation, plusieurs années peuvent s'écouler jusqu'à l’obtention d’un arrêt définitif. Dans d'autres pays (comme l’Italie ?), la durée des procédures peut être considérablement plus importante.

La durée d’une procédure arbitrale est ainsi considérablement plus courte. Toutefois, même moyennant un calendrier serré de la part du tribunal arbitral, il faut escompter une durée de procédure d'un à deux ans, en moyenne.

Un aspect déterminant à cet égard est qu'il n'existe généralement pas de voie de recours (c'est-à-dire pas d'appel ou de cassation) contre la sentence d'un tribunal arbitral. Le tribunal arbitral statue définitivement sur l'affaire, ce qui est très favorable à la partie ayant obtenu gain de cause. L'affaire est définitivement perdue pour celle ayant perdu, qui ne peut pratiquement plus rien faire. A noter en sus le point important que les sentences arbitrales internationales sont reconnues par la plupart des États et peuvent y être exécutées "relativement facilement".

Quiconque est impliqué dans une procédure d'arbitrage doit donc bien s‘y préparer et ne pas lâcher les rênes.

Venons-en maintenant à la langue de l‘arbitrage, qui résulte souvent des termes de la convention d'arbitrage. Elle est déterminée par le contexte culturel et linguistique des parties. Toutefois, les langues courantes de procédure sont généralement l'anglais, le français ou l'espagnol. Si la langue de l’arbitrage n'est pas la langue maternelle de l'une des parties, il en résultera une difficulté à ne pas sous-estimer. Cette partie devra alors rédiger ses conclusions dans une langue étrangère (impliquant traductions et délais) et être également en mesure de mener la procédure dans la langue de la procédure. Une bonne connaissance des langues étrangères est donc essentielle dans les dossiers d'arbitrage international.

Une autre question importante est celle du droit matériel applicable. L'affaire doit-elle être tranchée selon le droit allemand, le droit français ou le droit américain ? Tout dépend si les parties ont désigné une loi applicable dans leur contrat. Dans le cas contraire, il en résultera déjà un litige entre les parties.

Une fois déterminée la loi applicable à l'affaire, cela signifie généralement que l'une des deux parties aura à appliquer la loi d'un pays qu'elle ne connaît pas. Il en résultera des difficultés cachées, dont il faut être conscient. Ce serait pécher par naïveté et négligence que de penser simplement que la loi de l’autre pays doit être comprise comme sa propre loi.

C'était précisément le cas dans l’affaire que nous avons évoquée. Le demandeur ne connaissait pas le droit allemand et s'était déjà trompé de voie avant l'ouverture de la procédure d'arbitrage.

Reste enfin un point à évoquer sur lequel les parties inexpérimentées ne se penchent pas vraiment. Même beaucoup d'avocats ne le maitrisent pas vraiment. Il s'agit du déroulement de la procédure et des règles dites de procédure. Un avocat français connaît son code de procédure civile (CPC) et un avocat allemand les règles de sa Zivilprozessordnung (ZPO). Toutefois, il sera fait application dans les procédures CCI des ICC-Rules, des termes de référence, mais très souvent aussi des règles de l'IBA.

Il faut donc les connaître ou les étudier. S’agissant des règles de l'IBA, les avocats d'Europe continentale doivent être conscients des "composantes" anglo-américaines de la procédure. Ne compter que sur la connaissance de son propre droit procédural national peut rapidement conduire à des erreurs coûteuses.

En définitive, un arbitrage international coute cher. Une entreprise qui s'engage dans une procédure d'arbitrage devrait donc avoir suffisamment d'argent dans sa cagnotte de procédure pour faire face à toutes les situations. Elle peut facilement sinon se retrouver en situation d’otage.

Un dossier de procédure d'arbitrage international exige donc plus que la simple connaissance de son propre droit. Une bonne connaissance des langues étrangères est essentielle, mais surtout, une expérience des autres systèmes procéduraux et juridiques est indispensable. Celui qui ne raisonne qu'en termes de catégories du droit allemand perdra rapidement.

Et pour revenir à notre affaire : les demandeurs ont perdu. L'une des raisons en est qu'elle a agi avec trop d'assurance et de précipitation. Le manque de connaissance du droit allemand et la mauvaise compréhension d'un concept juridique allemand lui ont été cruciaux. Aucun recours n'était possible contre la sentence arbitrale ; la décision du tribunal arbitral est donc devenue définitive.

 

arcum RECHTSANWÄLTE

Gerhard Greiner

Rechtsanwalt