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17.01.2025

Droit du travail français et allemand : Quand deux systèmes juridiques se rencontrent

La mondialisation a incité les entreprises à étendre leurs activités au-delà des frontières nationales. Pour de nombreuses entreprises françaises, l’Allemagne est un marché attirant. Mais c’est précisément dans le domaine du droit du travail que deux cultures juridiques et professionnelles différentes s’affrontent. Les différences entre le droit du travail français et allemand sont importantes et peuvent conduire à des malentendus et des conflits si elles ne sont pas suffisamment comprises.

1. Les différences culturelles et juridiques défi

Outre les différences purement juridiques, les facteurs culturels jouent également un rôle décisif.

Le droit du travail français - qui, contrairement à celui de l’Allemagne, est également considéré comme un droit social - se caractérise par une forte protection sociale, une réglementation étatique complète et un droit de grève étendu. Les grèves sont en France un moyen de contestation presque évident et semblent, d’un point de vue allemand, souvent anarchiques ou peu réglementées.

En revanche, le droit du travail allemand mise davantage sur la responsabilité individuelle et la coopération entre employeurs et employés. Les entreprises jouissent d’une plus grande liberté dans l’organisation et la restructuration de leur entreprise (« freie Unternehmerentscheidung »). L’intervention directe de l’État est relativement faible. Le droit de grève en Allemagne est strictement formalisé et fixe des limites juridiques claires. Mais en même temps, les droits de codécision par le biais des comités d’entreprise et des conseils de surveillance permettent aux employeurs allemands d’exercer une influence considérable sur les décisions de l’entreprise et de l’exploitation. En fin de compte, on peut dire que l’influence des employés allemands passe par le droit de codécision et moins par le droit de grève.

Ces différences entraînent inévitablement des attentes et des modes de pensée différents quant au rôle de l’employeur et de l’employé - un champ de tension auquel les entreprises françaises sont souvent peu habituées.

2. Points d’achoppement typiques pour les entreprises françaises en Allemagne

a) La protection contre le licenciement :

En France, en cas de licenciement, l’accent est généralement mis sur les indemnisations et les dédommagements. Le maintien de la relation de travail (« Arbeitsverhältnis ») passe au second plan

En Allemagne c’est la protection de la relation de travail qui est au premier plan. Un employeur doit souvent justifier en détail devant le tribunal du travail pourquoi un licenciement est justifié (« sozial gerechtfertigt »). Il en résulte une incertitude prolongée quant à savoir si la relation de travail est finalement terminée ou non. Si elle n'est pas terminée, l’employeur doit poursuivre la relation de travail, mais aussi verser le salaire pour le passé (« Annahmeverzugslohn « ). Mais si l’employeur gagne le litige, l’employé ne reçoit ni indemnité de licenciement ni dédommagement.

Le risque est donc partagé par les deux parties. Pour éviter ce risque, les deux parties négocient une rupture conventionnelle (« Aufhebungsvereinbarung durch Vergleich »), qui prévoit d’une part la fin de la relation de travail, mais alors contre le paiement d’une indemnité négociée. Néanmoins, le droit allemand ne prévoit pas d’indemnités de licenciement ni de dédommagement en cas de résiliation du contrat de travail.

Important : en Allemagne, un travailleur n'est protégé contre le licenciement que s'il est employé depuis plus de 6 mois dans l'entreprise. L'entreprise doit également employer plus de 10 salariés. Si l'une de ces deux conditions n'est pas remplie, le salarié n'est pas protégé contre le licenciement.

Pour calculer le nombre de salariés, les salariés à temps partiel sont à décompter de la manière suivante :

  • Temps de travail régulier inférieur ou égal à 20 heures hebdomadaires : 0,5 salarié
  • Temps de travail régulier inférieur ou égal à 30 heures hebdomadaires : 0,75 salarié

Il y a également une nette différence en ce qui concerne le licenciement par des raisons économiques urgentes (dringende betriebsbedingte Gründe). Des raisons économiques urgentes peuvent être fondées sur des

  • circonstances externes (außerbetriebliche Umstände),
  • circonstances internes (innerbetriebliche Umstände).

Des circonstances externes peuvent être constituées par exemple par une baisse d´activité, du chiffre d’affaires, de la clientèle etc. En cas de litige, l´employeur doit démontrer et prouver de manière détaillée le développement économique passé et futur.

Des circonstances internes peuvent être par exemple constituées par des mesures de rationalisation et de restructuration (comme l´utilisation de machines nouvelles, le regroupement de sections d´entreprise, la fermeture d´une entreprise ou d´une partie d´entreprise, …)

Contrairement au droit du travail français ces circonstances internes relèvent de la libre décision de l´entreprise (freie Unternehmerentscheidung). En cas de litige, le juge ne peut pas statuer sur la rentabilité et l´utilité d´une telle mesure, mais il doit vérifier si la gérance a pris une décision concernant la mesure et a bien mis celle-ci en application. Les employeurs justifient la plupart des licenciements par des circonstances internes à l’entreprise. Lorsque des circonstances externes forcent l´employeur à prendre des mesures de rationalisation et/ou de restructuration, il justifiera sa décision en cas de litige par des mesures de rationalisation et de restructuration et non pas par des circonstances externes. Ainsi, l´employeur peut « préparer » la ou les résiliation(s) en rationalisant ou en restructurant l´entreprise.

b) Les conventions collectives

En France, presque toutes les entreprises sont soumises à une convention collective. La majorité des conventions collectives sont d’application générale. Les conventions collectives s’appliquent généralement au niveau interrégional ou national à toutes les entreprises des secteurs concernés.

En Allemagne, le nombre de conventions collectives (« Tarifverträge ») est nettement plus important qu’en France (environ 40 000). Néanmoins, seule une part relativement faible des conventions collectives est d’application générale et, par conséquent, un grand nombre d’entreprises allemandes ne sont pas couvertes par une convention collective.

c) La grêve

Une grève est l'expression visible d'un conflit, qui n'est souhaitable et autorisée qu'en tant « qu' ultima ratio ». Voici quelques principes qui, d'un point de vue français, sont inhabituels :

Pendant toute la durée d’un accord collectif, les grèves sont strictement interdites.

Pendant les négociations entre organisations patronales et syndicats, seules les grèves dites d’avertissement sont autorisées.

Pendant la procédure de conciliation, les grèves sont interdites. Ce n’est que lorsque les négociations et la procédure de conciliation ont échoué que les grèves sont autorisées.

Les entreprises qui font l’objet d’une grève ont (sous certaines conditions) le droit d’exclure des employés de l’entreprise. Les entreprises ne doivent pas payer les grévistes et les employés exclus. C’est aux syndicats de le faire ; pour cette raison, les syndicats n’organisent pas de grèves générales, mais plutôt des grèves ponctuelles dans certaines entreprises-clefs.

Toute grève sauvage, politique, prise d’otage, blocage et toute occupation de l’entreprise sont interdites. En cas d’infraction, les syndicats sont tenus de payer des dommages et intérêts aux entreprises. Un employé qui participe à une grève illégale n’a pas droit à être payé et encourt des conséquences graves jusqu'à la résiliation de son contrat du travail.

d) La Cogestion

La cogestion par les représentants des travailleurs est un élément essentiel du droit du travail allemand. Ce n'est pas par la grève, mais par la cogestion que les représentants des travailleurs exercent un véritable pouvoir et une influence.

Il convient de distinguer entre deux formes totalement distinctes de cogestion et de participation des salariés en droit allemand :

  • la cogestion au sein de l’entreprise, qui est exercée par le conseil de surveillance (Aufsichtsrat) : (Unternehmensmitbestimmung);
  • et la participation et la cogestion au sein du comité d’entreprise (Betriebsrat) dans une ou plusieurs « unités organisationnelles » : (betriebliche Mitbestimmung).

La cogestion au sein de l’entreprise est régie par

  • la loi sur la cogestion paritaire dans les entreprises de plus de 2.000 salariés (Mitbestimmungsgesetz),
  • la loi sur la cogestion paritaire dans les entreprises de l’industrie métallurgique et minière (Montan-Mitbestimmungsgesetz et – pour mémoire – la loi dénommée Montan-Mitbestimmungsergänzungsgesetz )
  • et la loi cogestion dite au tiers (Drittelbeteiligungsgesetz),

La cogestion au sein du comité d’entreprise est régie par la loi relative aux relations entre l’entreprise et le comité d’entreprise; participation et codécision (Betriebsverfassungsgesetz)

La participation au sein du comité d’entreprise de droit allemand (Betriebsrat) est la plus tangible et la plus visible pour les salariés. C´est à ce stade que les salariés sont directement représentés pour défendre leurs intérêts envers l´employeur, tant en matière personnelle, que sociale ou économique. Le Betriebsrat allemand dispose de beaucoup plus de compétences, de droits à cogestion et d´influence sur les affaires de l´entreprise que le comité d´entreprise du droit français.

Je ne souhaite pas entrer dans les détails de la Betriebsverfassungsgesetz. Je voudrais toutefois aborder un principe qui est typiquement allemand et qui décrit une différence essentielle avec la France. L'Allemagne est une société de consensus. On essaie toujours de trouver un consensus afin d'agir dans le sens de ce consensus. Cela vaut également pour le droit du travail, et plus particulièrement pour la cogestion.

C'est pourquoi la Betriebsverfassungsgesetz formule au § 1 II un principe important en droit allemand : Celui de collaboration en confiance mutuelle (§ 1 II BetrVG) (Grundsatz der vertrauensvollen Zusammenarbeit) qui doit régir les relations entre employeur et Betriebsrat. Ce principe de consensus imprègne tant les règles du droit du travail allemand que l´application qui en est faite par les partenaires sociaux. Une violation de ce principe (par des actes de sabotage, des actes de blocage délibérés, etc.) est massivement sanctionnée par les tribunaux et peut entraîner des obligations de dommages et intérêts considérables d'un côté ou de l'autre.

C'est justement cette recherche de consensus qui me donne personnellement l'espoir que l'économie allemande connaîtra un nouvel essor, même dans les temps difficiles que nous traversons actuellement. Ce ne serait pas la première fois que l'on parle de l'Allemagne comme de « l'homme malade de l'Europe », mais que celle-ci se redresse ensuite « étonnamment » rapidement. On peut citer l'exemple actuel de Volkswagen. L'entreprise traverse des temps difficiles et doit pour ainsi dire se « réinventer ». En relativement peu de temps et de manière très silencieuse pour la France, les syndicats, le conseil de surveillance, les comités d'entreprise ont trouvé un premier compromis de restructuration qui permettra à l'entreprise d'économiser des milliards d'euros dans les années à venir.

3. Pourquoi la perspective française est difficile à abandonner ?

Beaucoup de mes clients français disent souvent : « En France, ce n'est pas comme ça ». Cette affirmation illustre à quel point la culture de travail française est profondément ancrée dans les esprits et à quel point il est difficile d’abandonner sa propre perspective.

Il faut du temps et de l’ouverture d'esprit pour comprendre et accepter les mécanismes et les principes fondamentaux du droit du travail allemand. Les malentendus résultent souvent de l’habitude de partir des normes françaises. Dans ce cas, il faut être activement disposé à s’adapter.

4. Conclusion

Le droit du travail allemand pose des défis considérables aux entreprises françaises. Mais en même temps, il offre la possibilité de profiter de structures stables et clairement réglementées. Avec une bonne préparation et un conseil professionnel, les entreprises peuvent non seulement éviter les conflits, mais aussi opérer avec succès en Allemagne à long terme et motiver durablement leurs employés.

Vous avez des questions sur le droit du travail allemand ou vous souhaitez vous préparer à votre entrée sur le marché allemand ? Je suis à votre disposition pour vous aider. Contactez-moi pour un premier entretien sans engagement et discutons ensemble de la voie à suivre.

 

Gerhard Greiner
Rechtsanwalt und Fachanwalt für Arbeitsrecht