Actualites

05.06.2023

Différences fondamentales entre le droit du licenciement en Allemagne et en France

Dans le cadre de notre activité de conseil en droit du travail auprès de clients français et allemands, nous nous heurtons presque toujours au fait que nos clients raisonnent encore en fonction du droit du travail de leur pays d'origine, en ayant du mal à imaginer qu'il puisse exister dans l'autre pays des règles totalement différentes, reposant sur une compréhension fondamentalement opposée.

Prenons un exemple classique pour l’illustrer, celui du licenciement. Un employeur souhaite licencier un de ses employés. Comment doit-il procéder et à quoi doit-il s'attendre ?


1. Décision et lettre de licenciement

En Allemagne, lorsqu'un employeur veut licencier un salarié, il doit préalablement réfléchir soigneusement si et comment il va le faire. Il en va de même en France.

Si l'employeur allemand décide de licencier un salarié, il rédigera - tout simplement - une lettre de licenciement qui ne contiendra qu'une seule phrase : il met fin à la relation de travail du salarié. La lettre de licenciement n’a pas à indiquer de motif de licenciement.

Il en va différemment en France ! L'employeur doit tout d'abord convoquer le salarié à un entretien préalable. La convocation doit être envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception et respecter un délai de 5 jours ouvrables. Elle doit mentionner la mesure de licenciement que l’employeur envisage d’appliquer. L'entretien préalable doit permettre aux deux parties d'exposer leur position et de permettre un échange. En aucun cas, l'employeur ne peut prendre la décision de licenciement et la communiquer au salarié lors de cet entretien. D'autres formalités doivent être respectées.

Ce n'est qu'après un autre délai de réflexion, fixé par la loi, que l'employeur peut licencier le salarié. Contrairement à ce qui se passe en Allemagne, il doit déjà exposer les motifs du licenciement dans la lettre de licenciement et ce, très précisément. En cas de licenciement pour motif économique, la lettre de licenciement doit également mentionner la priorité de réembauche du salarié dans un délai d'un an.

2. Participation du comité social et économique/du Betriebsrat

Contrairement à la France où la création d’un comité social et économique (CSE) est obligatoire lorsque les effectifs de l’entreprise atteignent 50 salariés ou plus, toutes les entreprises allemandes ne disposent pas d'un Betriebsrat. Cette institution représentative du personnel ne peut être créée en Allemagne qu'à partir d'un nombre minimum de 5 salariés. Ce n'est pas non plus à l'employeur d'initier sa création; c'est l'affaire et l’initiative des salariés.

Cependant, si un Betriebsrat existe, il dispose de droits de codécision beaucoup plus étendus en Allemagne que le CSE français.

Important dans le cadre d'un licenciement : Avant tout licenciement, l'employeur doit informer le Betriebsrat de manière détaillée sur les motifs du licenciement. Si l'employeur commet des erreurs (s'il passe par exemple sous silence des circonstances importantes ou s'il n'informe que de manière lacunaire), la consultation du Betriebsrat n'est pas régulière et le licenciement n'est pas valable pour cette seule raison.

Si le Betriebsrat n'approuve pas le licenciement, cela n'empêche pas l'employeur de le prononcer quand même.

3. Protection contre le licenciement et motifs de licenciement

Comme chacun le sait, les employés en Allemagne ne sont pas protégés contre le licenciement par la loi sur la protection contre le licenciement (Kündigungsschutzgesetz) si la relation de travail n'a pas duré plus de 6 mois ou si l'entreprise n'emploie pas plus de 10 salariés. Ces salariés peuvent ainsi être licenciés relativement facilement. Il en va autrement en France : Le salarié bénéficie dès le début d’une protection contre le licenciement. Mais qu'il n'y ait pas de malentendu : La protection contre le licenciement ne signifie pas qu'un salarié ne puisse pas être licencié ; seules les conditions dans lesquelles le licenciement peut être prononcé sont plus strictes.

Il existe de grandes différences entre la France et l'Allemagne en ce qui concerne les motifs de licenciement. Je ne souhaite pas m'étendre sur cette question. Il est cependant important de savoir que des termes comparables en droit du travail n'ont pas forcément la même signification dans les deux pays. Si l'on parle par exemple en Allemagne d'un "motif important" (wichtiger Grund), le spécialiste allemand du droit du travail pense en général à un licenciement prononcé sans préavis en raison d’un motif important. Le salarié doit pour ainsi dire avoir "volé des cuillères d'argent". En France, cette notion se retrouve sous une autre qualification, à savoir le licenciement pour motif personnel. La loi allemande sur la protection contre le licenciement connaît également la notion de "raisons personnelles". Il s'agit toutefois de motifs qui ne sont pas liés à une faute ou à une mauvaise performance de l'employé. Pour un juriste du travail allemand, la faute professionnelle relève du "licenciement pour motif comportemental" (Kündigung aus verhaltensbedingten Gründen). Cette notion n'existe pas en droit du travail français. Au lieu de cela, la faute professionnelle peut constituer un motif de licenciement pour motif personnel. Vous le voyez donc. Derrière de nombreuses notions apparemment identiques ou similaires se cache souvent une compréhension totalement différente.

Enfin, il reste à constater que le droit du travail français exige dans l'ensemble des conditions plus strictes que le droit du travail allemand pour que le licenciement soit valable. Dans ce contexte, il convient de mentionner qu'en droit du travail allemand (contrairement au droit du travail français), les licenciements économiques peuvent également être justifiés par des mesures dites de restructuration et de rationalisation ; un tribunal du travail allemand ne jugera pas de la question de l'opportunité ou de la rentabilité de telles mesures ; du point de vue allemand, il s'agit de ce que l'on appelle des décisions relevant de la liberté du chef d'entreprise et non de la justice.

4. Devant le tribunal - objectif de l’assignation et conséquences différentes

Si un salarié allemand conteste la licéité de son licenciement, il doit impérativement introduire une action en protection contre le licenciement (Kündigungsschutzklage) auprès du tribunal du travail compétent dans un délai de trois semaines à compter de la réception de sa lettre de licenciement. D'un point de vue formel, la demande vise à faire constater que le licenciement n'est pas valable. Cela signifie que si la demande aboutit, la relation de travail se poursuit sans licenciement. En Allemagne, le tribunal du travail ne prononce pas d'indemnités, de dédommagements ou autres compensations, car la loi ne le prévoit pas. Si l'employeur verse tout de même une indemnité, celle-ci est le résultat de négociations transactionnelles entre l'employeur et l'employé ; l'employé quitte volontairement l’entreprise (= fin de la relation de travail à un moment donné) et, en contrepartie, l'employeur verse une indemnité à l'employé. Mais comme nous l'avons dit, ce type d'accord est purement consensuel et ne peut pas être imposé par le tribunal.

Il en va différemment en France. Qu'il y ait eu une erreur de procédure ou qu'il n'y ait pas de motif de licenciement, le licenciement reste "valable". Toutefois, le salarié dispose d'un droit à réembauche pour l'avenir. Parallèlement, l'employeur doit verser des indemnités élevées (indemnité pour licenciement irrégulier). Mais même si la procédure de licenciement a été menée sans erreur formelle et que le licenciement est justifié par un motif de licenciement, l'employeur doit verser une indemnité de licenciement au salarié. Dans le passé, ces indemnités étaient d'un montant pouvant être considérable. Cependant, après les réformes du président français Macron, ces indemnités ont été réduites et plafonnées selon un barème (avec des exceptions). Contrairement au droit du travail allemand, le salarié licencié a un droit à réintégration pendant un an, même en cas de licenciement justifié, si des embauches ultérieures sont prévues. Enfin, en France, l'employeur ne peut pas ordonner à un salarié licencié de prendre ses congés pendant le délai de préavis. Ces congés doivent alors être payés par l'employeur (indemnité de congés payés).

5. Conclusion en pratique

Dans le domaine du licenciement, le droit du travail allemand et le droit du travail français présentent des différences notables. Du point de vue allemand, le droit français du licenciement est plus formaliste et plus coûteux pour les employeurs. Du point de vue français, le droit du licenciement allemand est plus "favorable" à l'employeur et moins "avantageux" financièrement pour le salarié.

Pour nous, en tant qu'avocats, tout l'art consiste, lorsque nous conseillons des clients français ou allemands, non seulement à comprendre leur personnalité et leur position, mais aussi à leur faire comprendre l'autre "façon de penser". Car celui qui ne veut comprendre que ce qu'il connaît déjà et ne s'ouvre pas à la découverte de l'autre mode de pensée aura vite fait de connaitre des mauvaises surprises.


Gerhard Greiner

Avocat